Notes sur le cinquième conte

Peu à peu, au fur et à mesure du déroulement de la légende, le lecteur se fait une idée plus exacte de la race humaine. Il acquiert graduellement la conviction que cette race ne peut guère être plus qu’une simple chimère. On ne voit pas comment elle pourrait être partie de rien pour parvenir à une culture aussi haute que celle que décrivent ces récits. Elle paraît trop pauvrement équipée.

Les preuves abondent jusqu’ici de son manque de stabilité. L’intérêt qu’elle porte à une civilisation mécanique, son ignorance de conceptions de la vie plus saines, plus valables, soulignent chez elle l’absence d’une base solide.

Dans ce conte, nous apprenons combien limités étaient les moyens de communication dont disposaient les humains, et c’est là un lourd handicap. L’incapacité de l’Homme à comprendre et à apprécier la pensée et le point de vue de ses proches semble un obstacle que tous les trésors d’ingéniosité mécanique ne permettent pas de franchir.

Que l’Homme ait été le premier à s’en rendre compte, son désir de connaître la philosophie de Juwain l’exprime assez clairement, mais on remarquera que cette philosophie ne l’intéresse pas pour la compréhension qu’elle pourrait lui donner, mais pour la puissance et pour la gloire qu’il compte en tirer. Aux yeux de l’Homme, cette philosophie le ferait avancer de cent mille ans en l’espace de deux générations.

Il semble, à la lecture de ces contes, que l’Homme disputait une course, sinon avec lui-même, du moins avec quelque poursuivant imaginaire qui le talonnait. L’Homme était lancé dans une quête insensée de puissance et de connaissance, mais on ne trouve nulle part la moindre allusion à l’usage qu’il entendait en faire une fois qu’il les aurait obtenues.

Selon la légende, il était sorti des cavernes voilà plus d’un million d’années. Et pourtant ce n’est guère que cent ans avant l’époque où se situe ce récit qu’il aurait été capable d’éliminer de sa vie la notion de meurtre. Voilà qui donne assez la mesure de sa sauvagerie : il lui a fallu un million d’années pour se débarrasser du meurtre et il considérait cela comme une grande réussite.

Après avoir lu ce conte, on est amené à croire, avec Rover, que l’Homme est dépeint dans la légende comme une antithèse délibérée de tout ce qu’incarne le Chien, comme une sorte de pantin mythique, une fable sociologique.

Il n’en faut pour preuve que la vanité des efforts de l’Homme, sa perpétuelle agitation, sa façon de chercher sans cesse à parvenir à un mode d’existence qui le fuit, peut-être parce qu’il ne sait pas exactement ce qu’il veut.